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Dans le deuxième jet de cet entretien avec Thierno Seydi, l’agent de joueurs revient sur les taches noires qui gangrènent le milieu, mais également sur ses regrets dans la gestion de la carrière de Sadio Mané, les raisons de l’exil doré d’Issiar Dia au Qatar, alors qu’il n’avait que 25 ans et les mouvements concernant d’autres internationaux sénégalais comme Idrissa Gana Guèye ou Kara Mbodj.

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La corruption est devenue monnaie courante dans le milieu des agents. En 20 ans de carrière, en avez-vous été confronté ?

La corruption et l’argent facile sont là ! Le football génère beaucoup d’argent. Il y en a qui viennent dans le milieu attirés par l’appât du gain. L’argent ne change pas l’homme, mais révèle sa véritable personnalité. La réussite ? Oui, mais pas à n’importe quel prix. Thierno Seydi ne tombera pas dans certains travers. Je pense être suffisamment averti pour éviter tout piège pouvant ternir mon image. On a vu des agents faire des montages sur le dos des joueurs, sous prétexte que le club est éternel et que le joueur ne pourra y avoir une durée de vie de plus de quatre ou cinq ans. Ils s’occupent à gérer leur relation avec le club. Je ne peux pas faire ça. C’est aux antipodes de mes valeurs. J’aurais le sentiment de trahir.

Qu’est-ce qui fait la réussite d’un agent : faire signer des contrats lucratifs à un joueur où l’aider à avoir une vie paisible, sa carrière terminée ?

Le pire, c’est d’avoir à gérer la carrière d’un footballeur, pendant des années, être au courant des colossales sommes d’argent qu’il a gagnées et qu’il revienne un jour pour tendre la main. Ça ne doit pas arriver. Malheureusement, on peut donner tous les conseils du monde à certains, les orienter, ils te diront toujours oui. Mais derrière, ils ne te diront jamais ce qu’ils font. Au moment où tu t’en rends compte, ils sont déjà dans des situations humainement terribles. J’ai été confronté à cela. Je ne suis pas heureux, quand je vois mes anciens joueurs dans certaines situations. C’est très gênant.

Qu’est-ce qui fait que la confiance entre l’agent et le joueur ne tienne le plus souvent qu’à un fil ?

Quand l’argent commence à s’amasser, le joueur se retrouve entouré de 50 mille conseillers, 50 mille tantes, grands frères, et autres. S’il n’est pas costaud mentalement, il peut être facilement influençable. Je n’ai pas peur de perdre un joueur. Parce que je ne suis pas un agent affamé. Mon bonheur aujourd’hui, c’est de prendre un enfant et réussir avec lui. Malheureusement, certains garçons, avec la soif d’exister, d’être reconnus, font des erreurs, tombent dans des travers.

AFFAIRE SADIO MANE

Vous avez été pendant 20 ans avec Didier Drogba, mais vous n’avez pas réussi à garder Sadio Mané…

Je vais vous raconter une anecdote. Après les Jeux Olympiques 2012, Sadio Mané était à Metz en National, je lui ai fait signer son premier contrat pro. Des miettes. Déjà, le premier contrat pro en L1&2 tourne autour de 5 mille euros bruts (3,2 millions F Cfa). Imaginez ce que cela donne en National. Mais, comme il venait de sortir d’un bon tournoi, je m’étais engagé pour qu’il parte. S’il était resté en National, on n’aurait pas parlé de Sadio Mané, aujourd’hui, en Equipe nationale. Je ne voyais pas le coach qui allait prendre un joueur de National, compte tenu de la qualité des joueurs qui prolifèrent en Ligue 1, par exemple. Qu’est-ce que je fais ? Je me suis battu comme un chiffonnier. Si je ne m’étais pas comporté comme un killer, Sadio Mané allait rester à Metz. Le jour de son transfert, le bus du club était devant le siège et devait partir à Quevilly avec le joueur. S’il partait, le transfert tombait à l’eau. Ce jour-là, j’ai kidnappé Sadio Mané, me suis brouillé avec le président du Fc Metz et ai dit au directeur sportif que Sadio n’allait plus enfiler le maillot du Fc Metz. A un moment, le joueur a eu peur. Mais je n’ai pas lâché prise. Je lui ai forcé la main pour qu’il ne monte dans le bus, malgré les menaces de l’entraîneur, Albert Cartier. C’est comme cela que le bus est parti sans lui, mais avec son sac, à bord. Quand on a trouvé un accord à 18H, Sadio n’avait pas de passeport pour aller à Salzbourg. Il était à l’intérieur de son sac resté dans le bus. J’étais obligé d’envoyer quelqu’un le récupérer. C’est le dernier jour du mercato que le Fc Metz m’a envoyé une copie du passeport pour valider le contrat. J’ai encore cette image du garçon qui me regardait, les larmes aux yeux, pour me dire : «Peut-être, ma vie a changé à partir de ce jour !» Je lui avais dit : «Ce n’est que le début d’une aventure. Tu as la possibilité d’exploser dans un championnat tremplin. On se donne deux ans pour partir.» Malheureusement, deux ans après, on n’était plus ensemble.

Pourquoi ?

Ce garçon a été induit en erreur par quelqu’un qui se prétend avocat, spécialiste de management sportif. Je vais taire son nom pour ne pas lui donner trop d’importance. Ce monsieur lui a fait comprendre que Thierno Seydi a très mal négocié son salaire. Tous mes joueurs peuvent en témoigner, je ne suis pas un gagne-petit. Mais quand on fait comprendre au petit (Sadio Mané) que Salzbourg a payé 4 millions d’Euros (2 milliards 6 millions FCfa) à Metz et qu’il doit toucher une certaine somme, démesurée…, je me suis dit : quel est le lien entre le transfert et le salaire, surtout que le salaire avait été négocié sur la base d’un transfert de 2,5 millions, maximum 3 millions d’euros. C’est à la fin que Metz a fait de la surenchère pour ne pas libérer le joueur. 4 millions d’euros, c’était une façon de fermer la boutique. Malheureusement, les Autrichiens ont dit ok. Quand tu quittes Metz pour Salzbourg et que tu multiplies ton salaire par 10, en un temps record… J’étais content qu’il signe. Malheureusement, des gens malintentionnés ont été lui dire que Thierno a mal négocié. Pour les mettre à l’aise, j’ai dit : «Puisque vous avez des choses à me reprocher, allez devant les tribunaux.» Son fameux avocat a poussé le vis jusqu’à aller devant les tribunaux. Malheureusement pour lui, la justice a condamné Sadio Mané à me payer. J’ai encore le jugement. Mais comme ce pauvre garçon a été induit en erreur, je n’ai pas voulu faire appliquer la sentence. Je ne lui ferai jamais payer cette sanction. Sinon, Sadio est de Bambali, moi de Goudomp, qu’on prenne cet argent et qu’on l’utilise pour construire la mosquée de Bambali. Les notables prieront pour lui et moi. Je voulais juste que ce conseiller véreux aille au bout de sa logique. Quand il s’est fait condamner, il a fermé son clapet. Sadio et moi sommes restés de très bons amis. On parle de lui à Manchester United, ma fierté sera de le voir dans ce très grand club.

LE CAS ISSIAR DIA

On vous a reproché également d’avoir vendangé la carrière de Issiar Dia. Pour beaucoup, vous l’aviez envoyé à la retraite au Qatar, alors qu’il était promis à un bel avenir. N’avez-vous pas regretté ce transfert ?

Je vais vous faire une révélation ! Issiar Dia a perdu son père le jour où il a signé son premier contrat professionnel. Il est devenu très tôt chef de famille. Sa maman était femme au foyer. Il avait quatre frères et sœurs. Issiar me dit : «Je suis devenu chef de famille, j’ai le devoir de gagner de l’argent pour mettre mes parents à l’abri du besoin. Le football peut me permettre d’acheter une maison à ma mère. Je ne joue pas pour les titres, mais pour mettre ma famille à l’abri du besoin.» Que faire quand un garçon te dit ça ? C’est facile de se mettre derrière son clavier et d’écrire des choses. Qui va contester le choix de Fenerbahce ?
Personne ! C’est un des plus grands clubs européens. Au bout de deux ans, se sentant en difficulté là-bas, il me dit : «si tu vois une proposition venant du Qatar…» Heureusement, on reçoit une proposition du Qatar où le garçon peut avoir un salaire de 4 millions d’euros (2 milliards 600 millions FCfa) par an. Ai-je le droit de lui refuser ça ? Les gens ne voient que le côté sportif, le garçon lui voulait gagner de l’argent pour sa famille. Sa conviction est qu’à la fin de la carrière, on ne mange pas les titres encore moins les buts. Qui peut reprocher à Issiar de gagner de l’argent pour sa famille ? Je parle de cette affaire pour la première fois, parce que j’en ai entendu des vertes et des pas mûres.

Qu’est-ce qui explique aujourd’hui son retour en France ?

Après deux ans en Turquie et quatre au Qatar, il a gagné assez d’argent, épargné de quoi assurer le bonheur de sa maman et de ses frères. Mais la passion est toujours là. Issiar a compris qu’il y a une vie après le foot. Son vœu est de réussir sa carrière, quand il n’aura plus les jambes pour jouer. Aujourd’hui, il peut voir venir.

Quel regard portez-vous sur le parcours des internationaux sénégalais, qui ont connu beaucoup de mouvements lors du dernier mercato ? On attendait Kara Mbodji en Angleterre, il est resté en Belgique. Au lieu d’aller à Marseille, Idrissa Gana Guèye a préféré traverser la Manche pour rejoindre Aston Villa… Des choix surprenants, non ?

D’aucuns diront que j’ai amené Idy à Aston Villa, parce qu’ils sont mal classés (Aston Villa est l’actuelle lanterne rouge de la Premier League). Mais, c’est un club historique, il ne descendra pas. J’ai fait entrer Idrissa dans le marché anglais, ce qui est très important. Sous peu, il y aura beaucoup plus de contraintes pour les joueurs étrangers qui voudront y entrer. Ils ont tendance à changer la réglementation. West Ham s’était intéressé, mais n’a pas donné suite. On a parlé de Southampton, mais il n’y a jamais eu de proposition. Aston Villa ou pas, dans deux ans, Gana sera dans un très grand club. J’ai eu la même démarche, concernant Kara Mbodji. Malheureusement, cela n’a pas abouti. Les raisons ? Je les ignore. Le joueur était suivi par cinq clubs pendant l’année, mais ils n’ont rien conclu. Pourquoi ? On ne sait pas. On ne forcera jamais les clubs à venir. Je ne suis pas l’agent qui courbera l’échine pour qu’on prenne son joueur. Il avait aussi la possibilité d’aller en Turquie. Trabzonspor lui tendait un pont en or. Mais le garçon veut lier le sportif et le financier. Après, Cologne (Allemagne) est venu, mais on n’est pas tombé d’accord. Anderlecht, qu’on le veuille ou pas, se qualifie toujours pour les compétitions européennes. C’est une étape de franchie. On n’improvise pas. On a un plan de carrière. Regardez Pape Ndiaye Souaré (Crystal Palace), il a fini par s’imposer. S’il reste dans cette lancée, il finira dans le top 5.

«Avec Lamine Diatta coordonnateur, il y a forcément un conflit d’intérêts»

RAPPORTS AGENT ET SELECTIONNEUR

Vous êtes l’agent de la majorité des joueurs de l’Équipe nationale du Sénégal, quelle relation avez-vous avec le sélectionneur, Aliou Cissé et que pensez-vous de son management ?

Tout me lie à Aliou. C’est mon neveu, son père est mon cousin germain. Il a aussi été mon joueur. J’ai géré sa carrière en association avec Pape Diouf. Quand il fallait le soutenir, je l’ai fait. On ne m’entendra jamais critiquer dans la presse son management ou son coaching. Le jour où j’aurais quelque chose à lui dire, je l’appellerai et lui parlera de vive voix. Je n’ai jamais eu de problème avec un sélectionneur, parce que je sais où m’arrêter. Je gère la carrière des joueurs qui gagnent des matches pour eux-mêmes et pour leur coach. Si Aliou Cissé a un problème avec un joueur, du fait de son comportement, il m’appellera et on le résoudra. Quand Alain Giresse en a eu avec Diafra Sakho, il m’a appelé. On l’a résolu. Quand Diafra a fait montre de maladresse, j’ai tapé sur lui. Parce qu’il n’avait pas à le faire. Un agent, c’est un médiateur entre l’équipe et le joueur.

En tant qu’agent n’êtes-vous pas gêné par la présence de Lamine Diatta, agent comme vous, dans la «Tanière» ? Certains subodorent un conflit d’intérêts…

Lui aussi, j’ai été son agent. Tout comme Fadiga avec qui j’ai une relation assez particulière. J’étais proche de sa maman qui me l’avait confié devant Dieu. J’ai pris l’engagement par fidélité et reconnaissance à sa maman, d’être toujours là pour lui. Quand Lamine a embrassé ce métier (d’agent), il est venu me voir pour des conseils. Quand la question s’est posée, il m’a dit : «Je sais que les gens en parlent». (Thierno Seydi reçoit un appel de Didier Drogba et interrompt l’entretien momentanément, ndlr ). C’est aux instances du football de savoir quelle est la position de Lamine et comment l’utiliser. Je suis agent, mais suis très à l’aise, parce que je n’ai pas peur de la présence de Lamine dans la «Tanière». Je ne pense pas qu’il pourra me piquer mes joueurs. Mais des agents qui ne sont pas dans la même position que moi peuvent être gênés par sa présence. Certains m’en ont parlé. Forcément, il y a conflit d’intérêts. Imaginez Thierno Seydi devenir coordonnateur de l’Équipe nationale. C’est comme le fameux soi-disant avocat qui tourne autour des joueurs et qui est l’ami du sélectionneur. Personnellement, ça ne me pose aucun problème, mais c’est à la Fédération de le régler.

LES MOMENTS DIFFICILES D’UNE CARRIERE

Aujourd’hui, vous côtoyez le monde des riches, vous est-il arrivé, autour d’une table, en compagnie d’autorités ou de stars, de marquer une pause pour mesurer le parcours effectué, penser à votre enfance à Rebeuss ?

Aujourd’hui, plus que jamais, je revendique ma «Rebeussité». C’est l’école de ma vie, un melting-pot, le quartier où, très tôt, tu es confronté à la pauvreté. A un moment donné, c’était la loi du plus fort. Il fallait être bagarreur pour s’en sortir. La tentation aussi – alcool, drogue…- était là. C’est pourquoi, je ne remercierai jamais assez mon père et ma mère qui, dans des conditions assez difficiles – ils étaient de simples fonctionnaires – ont réussi à nous inculquer des vertus. Ils ont du mérite, parce qu’on a été épargné(s) de tous ces vices. Le plus grand hommage que j’ai reçu, c’est quand mon père me regarde droit dans les yeux et dit : «Thierno, nous sommes les retraités les plus heureux sur terre». Ce jour-là, j’avais des frissons.

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