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Pour les clubs sénégalais enga­gés en compétitions afri­caines, les saisons se suivent et se ressemblent. C’est toujours l’hécatombe. A peine entrés en compétition, déjà ils s’en sont fait sortir. Eliminés dès le premier tour des préliminaires des cou­pes de la Caf et de la Ligue afri­caine des champions, respectivement par Nasarawa United (Nigeria) et Horoya Ac (Guinée Cona­kry) les clubs Generation Foot et As Douane, qui représentaient le Sénégal à ces deux compétitions continentales, n’ont pas failli à la règle : un seul tour puis s’en va.

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Cette régularité de nos clubs dans ce qu’il est convenu d’appeler la deuxième division du football sur l’échiquier africain où ils ont élu domicile pour longtemps encore et où ils ont comme concurrents directs des clubs de la Gambie, de la Guinée Bissau ou de la Mauritanie n’étonne personne.

Si à la modestie des ressources financières allouées par l’Etat au ministère des sports (moins de 1% du budget national) s’ajoute la précarité des clubs sénégalais qui vivent encore dans l’amateurisme, en dépit des prétentions sur lesquelles surfent les responsables du football national qui prétendent avoir placé le Sénégal sur les rampes du semi-professionnalisme, les faits sont têtus et constants. La réalité dure et implacable. Le football sénégalais est à des années-lumière du football professionnel et même semi-professionnel. Ce ne sont pas les soupçons de salaire des joueurs et du staff technique, au demeurant très maigres, qui plus est irrégulièrement payés, qui doivent faire illusion.

De fait, dans leur structuration, leur manque d’appui par le ministère et par la Fédération de football, les clubs sénégalais ne sont ni viables ni compétitifs et ne peuvent donc pas rivaliser en Afrique. Quand des joueurs de Nia­ry Tally ou de l’Us Gorée pren­nent les «cars rapides», les «Tata» ou les «Ndiaga Ndiaye» pour aller à l’entraînement, quand une équipe du Jaraaf est réduite à être ballotée entre le stade Demba Diop ou le stade Iba Mar Diop qu’elle loue à prix d’or pour quelques heures d’entraînement seulement, quand une équipe du Casa-Sport est obligée d’avaler des centaines de kilomètres pour rallier Dakar ou Saint-Louis au moins deux fois en quinze jours, pour jouer devant des gradins clairsemés, d’où des quotes-parts des re­cettes insignifiantes et loin de compenser les frais de regroupement et de transport de l’équipe, il y a peu de chances pour que lesdits clubs rivalisent avec une formation balèze comme le Tout-Puissant Mazembe ou, plus près de nous, l’Asec d’Abidjan. Voilà un club ivoirien, l’Asec-Mimosas, qui est une véritable entre­prise, avec des installations de qualité, son centre d’entraînement doté d’infrastructures ultra-modernes utilisées même par des équipes nationales de passage à Abidjan pour un camp d’entraînement. En plus, le financement de ce club tire beau­coup de ressources générées par les contributions des «mi­mos» c’est-à-dire des supporters-sociétaires du club qui mettent la main à la poche pour acheter des cartes de membre, des produits dérivés dans le cadre du merchandising organisé dans la boutique officiel du club, ou qui souscrivent même un abonnement annuel au stade pour les matchs du club. Si on nous parle de semi-professionnalisme dans un tel contexte, on ne peut qu’être d’accord. Une façon de dire que tout n’est pas qu’incantation ou fétichisme des mots.

Quand le portier international sénégalais Khadim Ndiaye en arrive à aller monnayer ses talents en Guinée Conakry, sous le maillot de…Horoya Ac, justement le club qui vient d’éliminer le champion en titre du Sénégal, l’As Douane, en l’étrillant et en le laminant au match retour des préliminaires de la Ligue afri­caine des champions sur le score sans appel de 4 buts à zéro, cela se passe de commentaire. Quand des clubs mauritaniens plus hup­pés que les nôtres viennent nous prendre nos meilleurs jou­eurs qui, de plus en plus, ont davantage des envies d’ailleurs que de faire leur trou dans les compétitions nationales, l’on ne doit pas s’étonner que le championnat local, avec son spectacle affligeant, n’attire point. Ni le public ni les sponsors. On ne doit pas être scandalisé quand le temple du football, le stade Demba Diop, n’affiche complet que lors des combats de lutte. C’est ce qui avait d’ailleurs pous­sé l’ancien ministre des sports, Abdoulaye Makhtar Diop, à proposer que le stade Demba Diop soit affecté à la lutte et transformé en arène na­tionale. Au­jourd’hui, le supporter du Jaraaf que je suis n’est pas capable d’aligner cinq noms de joueurs de l’équipe de la Médina sur une feuille de match. Par contre, je connais par chœur les compositions de clubs européens comme Chelsea, Arsenal, Manchester United, Manchester City, Liverpool, le Real Madrid, Barça, le Psg, Lyon, le Bayern de Munich ou la Juve.

A dire vrai, le travail foncier qui doit être fait à la base, à travers la formation, est insuffisant. Et à chaque fois que cela se fait, les résultats ne se font pas attendre. La seule victoire officielle de la sélection nationale du Sénégal dans les compétitions continentales n’est arrivée qu’en 2015, avec l’équipe olympique qui a remporté les Jeux africains à Brazzaville, avec une sélection à base locale constituée en majorité de joueurs issus des centres de formation (Jambaar, Génération Foot, etc.). Sinon, à ce jour, l’horizon de satisfecit de la sélection nationale c’est la saga des Lions du Sénégal avec la joyeuse bande à El Hadji Diouf qui a fait l’épopée que l’on sait. Mais tout porte à croire que c’était une affaire de génération spontanée, un épiphénomène, et non le résultat d’une politique sportive cohérente, planifiée, soutenue, bâtie sur la durée et avec des objectifs à court, moyen et long terme. La preuve, depuis lors, on s’est vu trop beau, on est tombé dans l’autosatisfaction et on a dormi sur nos lauriers en continuant à surfer sur l’euphorie de la vague de 2002, sans jamais pouvoir revenir sur terre. Résultat des courses : qui n’avance pas recule. Alors les Lions ont rétrogradé et sont rentrés dans les rangs. Et l’on continue à faire et à s’attarder dans la logique de campagnes, qui mobilisent et enfièvrent le temps de la compétition – qui se termi­ne toujours prématurément par une déception – avant que l’on ne retrouve sempiternellement ses vieux démons sous forme de règlements de comptes, de chasse aux sorcières et de limogeage du sélectionneur pris comme bouc émissaire, après chaque déroute des Lions.

On n’a pas aussi oublié, dans les rares succès, l’exploit des Lionceaux de la sélection des U-20 à la Coupe du monde 2015 en Nouvelle-Zélande où ils se sont arrêtés au pied du podium en  décrochant la «médaille de cho­colat» en s’inclinant en match pour la 3ème place devant le Mali (3-1).

Au plan international, on se gargarise tout le temps de la forte colonie de footballeurs sénégalais (nés au Sénégal ou binationaux) qui jouent dans les clubs professionnels européens et asiatiques où ils font partie des plus importants en nombre, devant des pays comme le Nigeria ou la Côte d’Ivoire.

Le bémol, c’est que les Lions expatriés jouent dans des modestes clubs de seconde zone qui, soit sont situés dans le ventre mou du classement dans leurs championnats respectifs, soit luttent régulièrement contre la relégation. On a rarement vu des Lions jouer ou être titulaires dans les grosses écuries euro­péen­nes où, par contre, on trouve sou­vent des ressortissants d’au­tres pays africains. L’Ivoi­rien Didier Drogba a fait gagner à Chelsea sa première Ligue des champions. Les Ivoiriens Yaya Touré (ex-Barça) et Wilfrid Bony font le bonheur de Manchester City. Le Came­rounais Samuel Eto’o a été une icône au Barça, de même que le Malien Seydou Keïta qui joue aujourd’hui à la Roma. Le Camerounais Jérémy Ndjitap, le Malien Mahamadou Diarra et le Togolais Emmanuel Adé­bayor (ex-Arsenal, ex-Man­ches­ter Ci­ty) étaient des titulaires indiscutables au Real Madrid. L’Ivoi­rien Serge Aurier a été jusqu’à une date récente l’un des piliers du Psg. Le Guinéen Aboubacar Titi Camara à Liverpool. Le Ghanéen Michel Essien à Chelsea puis au Real Madrid. L’Ivoirien Abib Kolo Tou­ré (ex-Arsenal, ex-Man­ches­ter City) est au aujourd’hui à Liver­pool. Le nouveau ballon d’or africain, le Gabonais Pierre Emérick Au­bameyang est au Borussia Dort­mund. La liste n’est pas close.
En revanche, et ce n’est mé­chant de le dire, combien de Lions ont joué dans de grands clubs européens ? A-t-on jamais vu un Lion au Real ou au Barça ? Oumar Guèye Sène était le capitaine d’un Psg d’un autre temps, qui avait accueilli Jules François Bocandé puis un certain Aliou Cissé. Lamine Diatta, Pape Malickou Diakhaté et Lamine Gas­sama ne se sont jamais impo­­sés à Lyon. Habib Bèye, Mamadou Niang ou Souleymane Diawara ont été des titulaires indiscutables dans une équipe de Marseille qui n’était pas un foudre de guerre. Après des débuts en fanfare, El Hadji Diouf a progressivement été poussé vers le banc de Liverpool par son coach Gérard Houiller qui a dit que «Dioufy fire» a été l’une des plus grandes déceptions de sa carrière. Idem pour Salif Diao. Mame Biram Diouf n’est jamais entré dans les plans des managers de Manchester United qui ont fini par le prêter puis par le revendre. Khalilou Fadiga n’a jamais pu revêtir le maillot de l’Inter Milan à cause de son arythmie cardiaque. Le fait de s’entraîner aux côtés de Messi, Xavi ou Iniesta et de porter le maillot blaugrana du mythique club catalan suffit au bonheur de Diawandou Diagne. Le seul fait d’arme de Demba Bâ à Chelsea a été d’éliminer le Psg en 2014. Une performance que n’a pas connue Papy Djilobodji qui n’a joué qu’une minute avec les Blues avant d’être prêté à Brême.

Certes, il y a une certaine embellie illustrée par le dernier classement Fifa, où le Sénégal est classé 5ème en Afrique et 45ème mondial. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Les clubs sénégalais sont toujours des nains en Afrique, et la sélection nationale n’arrive plus, depuis deux éditions de phase finale de la Coupe d’Afrique des nations à passer le premier tour. La sélection nationale n’a pu s’imposer à domicile lors de la Coupe d’Afrique des U-23 organisée par le Sénégal du 28 novembre au 12 décembre 2015. Les Lions locaux n’ont pas pu se qualifier pour la dernière phase finale du Chan organisé en janvier dernier au Rwanda. Tout comme la sélection olympique n’ira pas à Rio de Janeiro l’été prochain à l’occasion des Jeux olympiques. Basta ! Arrêtez le massacre !

Sur le plan du coaching des Lions, hormis l’exception no­table de Bruno Metsu, le Sénégal n’a jamais atteint les résultats es­comp­tés avec les «sorciers blancs» qui étaient censés ap­por­ter cette touche professionnelle et la rigueur tactique euro­péenne. De Otto Pfister à Alain Giresse, en passant par Claude Leroy, Guy Stephan et Henry Kasperczak, les fruits n’ont pas apporté la pro­messe des fleurs. Et voilà qu’on retourne à l’expertise lo­ca­le, mais c’est pour constater et le déplorer, les arriérés de salaire des techniciens «autoch­­tones», le manque de consi­­dération et de prise en charge correcte à leur égard, contraire­ment aux coachs venus d’Europe, mieux traités sur tous les plans.

Arrêtons de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas ! Le palmarès du Sénégal en football est pauvre. La vitrine à trophées de la Fédération sénégalaise de football est désespérément vide. «Les Sénégalais sont les plus beaux, les plus gentils, les plus civilisés, patati patata», voilà ce qui nous retarde, nous inhibe et nous endort pendant que les autres avancent. Il faut se remettre au travail. On le dit toujours, sans jamais le faire suivre d’effet. Sans jamais tâcher de joindre l’acte à la parole.

Le temps de se ressaisir et de prendre par le bon bout le problème en attaquant le mal à la racine, souffrons que le football sénégalais, pas du tout conquérant, n’a que la place qu’il mérite.

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