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Les livres d’histoire retiendront le nom de la Jeanne d’Arc comme cette Vieille Dame qui aura pendant plus de deux tiers de siècle fait rêver bien des générations. L’album souvenir laisse un goût amer aux nostalgiques de cette époque glorieuse qui a vu les Bleu et blanc titiller les géants de l’Afrique du football. Voir cette équipe en National 1 est plus qu’un « désastre ». Mais, peut-on vraiment parler de surprise ?

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La goutte de larme trace une ligne de déchirement sur le visage ridé du vieillard, le cœur brisé par le terrible scénario qui poussait alors la Jeanne d’Arc dans les eaux troubles de la Ligue 2. Du haut des tribunes de Demba Diop, « Pa Ja », comme on appelle cet inconditionnel de la Jeanne d’Arc, fixe l’horizon comme un enfant perdu invoquant les esprits. A la fois mélancolique et ébahi, le visage ravagé par la colère et la déception, il n’en croit pas ses yeux alors que bourdonnent dans ses oreilles les insultes et autres cris d’indignation de supporters mécontents de voir leur club de cœur sombrer dans la déchéance après des années d’agonie sans pouvoir rien faire. La « Vieille Dame » venait en fait de s’écrouler sur le pavé après plus d’un demi-siècle de rayonnement et de rêve. Le club qui avait marqué de sa splendeur la planète foot sénégalaise venait alors de laisser filer l’une de ses dernières chances de sauver sa vie dans l’élite. Quelques jours plus tard, ce que beaucoup redoutaient, mais voyaient venir, allait se produire. Pour la première fois depuis sa création en 1921, la Jeanne d’Arc allait rétrograder en Ligue 2. Et ce n’était que le début du commencement de la descente aux enfers de la « Vieille Dame ».

Tout pour échouer
Comme si c’était aujourd’hui, l’image du vieillard versant des larmes dans les gradins du stade est fraîche dans les mémoires. Un homme aux airs de fantôme dans une maison hantée, ce à quoi ressemble fort bien celle des Bleu et blanc. Et leur cycle infernal continue. Car deux saisons après leur descente historique en Ligue 2, Pape Diop et compagnie continuent inexorablement leur descente aux enfers. C’est en National 1 qu’ils vont désormais chercher les ressources-miracles pour redorer le blason de la « Vieille Dame » dans sa quête (utopique ?) d’une seconde jeunesse pour retrouver la lumière perdue. En effet, après des mois à rêver d’un improbable sursaut, les joueurs de la Ja ont fini par tout perdre. Comme il y a deux ans, au moment où ils prenaient le chemin de la Ligue 2 pour la première fois de leur histoire, les Bleu et blanc n’ont pas réussi à sauver leur peau dans l’antichambre de l’élite. A l’orange à la fin de la phase aller du championnat pro de Ligue 2, le feu n’est jamais passé au vert. Pire, c’est au rouge que la doyenne des clubs sénégalais a terminé sa saison, pataugeant dans les bas-fonds du classement de sa poule. Et c’est leur énième défaite (2-0) devant Dakar Sacré-Cœur, à l’issue du match considéré comme celui de la survie des Bleu et blanc en Ligue 2, qui a définitivement assommé les hommes d’Alphousseyni Badji qui rêvaient pourtant grand pour leur deuxième année en Ligue 2. « Nous voulions ramener l’équipe en Ligue 1 et nous avons tout donné. Malgré la relégation, nous, les joueurs, sommes fiers de nous parce que nous n’avons jamais failli à notre mission. Nous nous sommes battus, nous nous sommes tués jusqu’au bout, mais les dirigeants ne nous ont pas aidés. On ne pouvait s’attendre à avoir mieux.  Nous sommes quittes avec notre conscience », pense aujourd’hui le capitaine de l’équipe, Pape Diop, étranglé par la frustration.   En fait, les intentions ne pouvaient à elles seules suffire pour extirper le ver du fruit déjà pourri. Mais, le mal est déjà fait et, une dizaine de jours après cette seconde chute, joueurs et staff technique ont encore du mal à digérer cette contreperformance qui les place devant l’histoire comme acteurs principaux de l’effondrement d’un empire qui a longtemps incarné le visage illuminé du football sénégalais. « Comme pour tout entraîneur dans une pareille situation, cela fait mal. Cela fait encore plus mal pour un coach qui vient de remporter un titre de champion de Ligue 1 et qui fait descendre un autre club. Pour les joueurs, cela fait mal aussi parce qu’ils avaient envie de faire remonter cette équipe en Ligue 1 », se désole l’entraîneur, Alphousseyni Badji. Arrivé avec un plan de sauvetage surréaliste, l’ancien entraîneur de l’Us Ouakam, club avec lequel il a été sacré champion du Sénégal en 2011, n’était finalement que le dindon de la farce dans cette tragi-comédie sportive. « Ce que j’ai trouvé sur place n’a rien à voir avec ce qu’on m’avait promis. Ils avaient promis une Ag pour remettre de l’ordre dans le club, mais les divisions ont persisté et c’est nous qui payons, malheureusement, les pots cassés. Je n’aurais jamais accepté de m’engager si je savais que cela allait se passer comme ça », regrette le technicien qui ne peut que constater les dégâts causés par les divergences entre dirigeants qui ont fini par avoir raison d’une « Vieille Dame » déjà fragilisée par son historique relégation en L2 en 2011.

Pourra-t-elle s’en remettre ?
« C’est un désastre de voir la Jeanne d’Arc reléguée en National dans un football sénégalais aussi moribond », s’indigne Moussa Ndao, alors que la question qui enchaîne désormais les pensées est de savoir si la « Vieille Dame » pourra se remettre facilement de cette deuxième chute ? On n’a pas besoin d’être devin pour savoir que le scepticisme a déjà gagné les esprits de beaucoup de Sénégalais. « Si l’on n’y prend garde, on risque de disparaître tout bonnement comme d’autres clubs qui ont marqué le football sénégalais par le passé », prophétise l’ancien attaquant de Ja qui doute de la capacité de l’équipe à se relever aussi vite de cette claque. « Cela va être extrêmement difficile », pense Moussa Ndao. D’autant que, pour l’ancien attaquant des Bleu et blanc, « le club est à l’abandon et il n’y a rien qui peut nous permettre d’espérer voir l’équipe se relever vite. Déjà, il n’y a plus de talent, le club n’a pas su avoir ses propres infrastructures, la catégorie jeune qui faisait la force de la Ja n’existe plus ».  Mais, l’espoir n’est pas totalement perdu. Malgré la relégation, les anciens du club préparent une grande offensive pour prendre en main la destinée du club. « Il faudra que les anciens se décident à prendre les rênes du club et enclencher un nouveau processus, faire ce qui se fait de mieux dans le football professionnel, chercher de bons joueurs et les mettre dans de bonnes conditions », propose Moussa Ndao. La stratégie de Pape Niokhor Fall : « tendre la main aux bonnes volontés et, surtout, parler avec les anciens comme Diagne Faye, Dame Ndoye, Lamine Diarra, qui évoluent en Europe. Il n’y a que cela qui peut sauver ce club ». Mais, pense Alphousseyni Badji, « cela ne servira à rien si on n’essaie pas de s’adapter aux exigences du professionnalisme. Il faut un nouveau type de dirigeant et un nouveau mode de gestion ». Après son élection, le président par intérim avait déjà fixé les priorités avec, en toile de fond, une foultitude de questions. Pour Seydou Nourou Bâ, « les priorités de la Jeanne d’Arc sont d’abord de relancer toutes les sections, et pourquoi pas ne pas y ajouter d’autres. Mais avant de relancer, il faut faire l’état des lieux. Parler avec les pratiquants, trouver un terrain où s’entraîner pour le basket, le handball, le football, etc. » (Le Soleil du 31 août). Des paroles en l’air car tout est encore au point mort.

Abattue financièrement, morte sportivement
Les problèmes de leadership ont, sans doute, été à l’origine de l’agonie de la Jeanne d’Arc. La querelle entre dirigeants ayant entraîné la baisse du pouvoir financier du club, la chute sportive était dès lors inévitable. Une situation inimaginable avant l’éviction d’Omar Seck, pensent certains.
A force de vivre dans une constante instabilité, l’équipe de la Jeanne d’Arc a définitivement sombré dans la désillusion. Pourtant, au lendemain de sa descente en Ligue 2 il y a deux ans, dirigeants, supporters et joueurs avaient juré la main sur le cœur de tout faire pour que l’équipe retrouve l’élite le plus vite possible. Mais, entre le rêve et la réalité, le gap est souvent trop grand pour être compensé par de simples déclarations d’intention. Il en fallait plus pour redresser le navire coincé dans un déluge sans fin. Or, la guerre qui sévissait au sein de l’élite dirigeante avait entraîné l’équipe dans un désordre fatal depuis l’éviction d’Omar Seck de la présidence du club. Abandonnée à elle-même, financièrement touchée, la Jeanne d’Arc avait coulé. Depuis l’éclatement du conflit entre les pro et anti-Momar Ndiaye, le club s’est subitement retrouvé sans moyens, condamné à vivre dans une galère qui aura consumé les derniers espoirs de retour au premier plan. « Ce qui se passe ne devrait surprendre personne. La descente nous fait très mal mais nous n’y pouvions rien du fait du manque de moyens. Nous avons fait ce que nous pouvions, mais les conditions dans lesquelles nous avons vécu étaient très difficiles. Les dirigeants ne nous ont pas aidés parce qu’une équipe qui ne peut pas assurer ne serait-ce que le transport des joueurs n’est pas une équipe », s’offusque Pape Diop. Et cette expérience amère, le capitaine des Bleu et blanc ne compte plus la revivre. « C’est un contrat qui me liait au club,  c’est pourquoi je suis resté malgré la descente en Ligue 2. Maintenant qu’il est terminé, je ne compte pas rester, je n’y pense même pas », assène l’ancien attaquant de l’équipe nationale locale.
Dans une planète foot en pleine mutation, quand deux crises (financière et structurelle) se croisent, cela conduit forcément au désastre. La chute de la « Vieille Dame » n’est donc pas une surprise, loin de là. Si elle n’est pas la seule formation de la Ligue Pro à connaître des problèmes de finance, sa descente en National 1 montre que l’effondrement du pouvoir financier du club a conduit l’équipe dans ce précipice. « Une équipe ne peut pas gagner sans moyens. Nous assumons l’échec sur le plan sportif, mais à dire vrai, nous n’avions pas les moyens de faire face. Je n’ai jamais vu une équipe pareille. Il y a des choses que je ne peux pas expliquer sur la place publique, mais les dirigeants de l’équipe n’ont pas respecté leurs engagements vis-à-vis de l’équipe et de moi-même », se désole l’entraîneur Alphousseyni Badji. On est donc très loin de la période où le maillot Bleu et blanc faisait rêver les meilleurs footballeurs sénégalais et de la sous-région. Une période faste incarnée par le défunt Omar Seck, alors tout puissant président du club qui ne lésinait pas sur les moyens pour bâtir son empire. « A son époque, nous n’avions aucun problème. Il faisait tout pour que l’équipe soit dans de très bonnes conditions. Il n’hésitait pas à aller chercher des joueurs dans la sous-région pour mettre sur pied une équipe de dimension continentale. Les Abba (Koné, défenseur malien), Narcisse (Yaméogo, milieu de terrain burkinabé), Momo (Wandel Soumah, attaquant guinéen), tous ces anciens internationaux, c’est lui qui les a fait venir à la Ja », regrette Pape Niokhor Fall, ancien capitaine de la Ja. Et mieux, poursuit l’ancien international sénégalais, « il a fait de nous des professionnels. Il nous a amenés en regroupement en France pendant 24 jours pour préparer notre match contre Al-Ahly. C’est lui qui a été le premier à nous donner une prime de 1,3 million de FCfa. C’est pourquoi quand on dit que l’équipe a des problèmes d’argent, cela me désole ».

L’élection de Momar Ndiaye, élément déclencheur 
L’élection en 2005 très controversée de Momar Ndiaye à la présidence du club a attisé les tensions. La révolte des partisans d’Omar Seck a tout fait exploser.
De la gloire à la déchéance, le trajet peut être long. On peut se demander comment un club comme la Jeanne d’Arc qui, au début du siècle en cours, constituait la vitrine du football sénégalais l’a à ce point raccourci pour se retrouver aujourd’hui dans une situation aussi désastreuse. Moins de 10 ans pour passer des demi-finales de la Ligue africaine des champions (en 2004) au N1 sénégalais (2013), c’est bien plus et bien pire qu’une chute libre. Mais, c’est un secret de polichinelle, la raison de cette relégation en National n’est en fait que la conséquence d’une guerre de positionnement que se livrent des membres de l’élite bureaucratique depuis plusieurs années. Une tension permanente qui aura empoisonné l’atmosphère et conduit l’équipe à cette chute dont elle risque d’avoir beaucoup de mal à se remettre. « Si on en est arrivé là, c’est à cause des dirigeants qui ne sont là que pour leurs propres intérêts. Momar Ndiaye, Issa Lô et leurs cliques sont tous responsables », assène Pape Niokhor Fall. Qu’on soit pro ou anti Momar Ndiaye, il est clair que  la nomination de ce dernier au poste de président au détriment d’Omar Seck a été l’origine du conflit qui a précipité la chute du deuxième club le plus titré du Sénégal.
L’élection en 2005 de Momar Ndiaye, considérée de putsch par les partisans d’Omar Seck, a plongé le club Bleu et blanc dans une crise sans fin qui a terni l’image de l’équipe et réduit à néant les promesses d’étoiles suscitées par un parcours presque parfait une année plus tôt. L’éviction d’Omar Seck est, en effet, intervenue quelques mois seulement après la qualification de l’équipe en demi-finale de la Ligue africaine des champions en 2004. Finaliste de la Coupe de la Caf en 1998, 10 fois championne du Sénégal, la Jeanne d’Arc, et ses 6 Coupes du Sénégal et 2 Coupe Aof, allait ainsi voir se refermer peu à peu une époque glorieuse qui aura nourri tous les fantasmes. Aujourd’hui, la splendeur de la « Vieille Dame » n’est plus qu’un chapitre des plus sublimes de l’Histoire du football sénégalais qu’il faudra désormais conjuguer au passé.

 

Lesoleil

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