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A 34 ans, Abdel Djilali Bahloul entame une carrière d’entraîneur professionnel prometteuse. Son arrivée a eu des vertus thérapeutiques pour la Linguère qui, extirpée des eaux troubles de la relégation, a émergé et joue les premiers rôles en Ligue 1. Les observateurs s’accordent à ne pas lier la troisième place de l’équipe de la région nord au hasard, y voyant la récompense d’un travail bien fait. L’Obs en revisite les contours.

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Faire d’un canasson un cheval de course, voilà l’exaltante prouesse réussie par le nouvel entraîneur de la Linguère de Saint-Louis. Cette formation qui, à l’issue de la phase aller, flirtait avec la relégation et qui, aujourd’hui, truste le rêve de finir la saison au sommet, doit sa remontée à un homme : Abdel Djilali Bahloul. Jeune entraîneur de 34 ans, titulaire de la Licence A Uefa, cet ancien coach de Chaux-de-fonds en Suisse, de Saint-Chamas et Gardanne en France (division d’Honneur) a empreint ses marques sur son premier club de Ligue 1. Avec des choses basiques, Bahloul a bâti une forteresse. Son secret : «des séances d’entraînement sérieuses, adaptées et cohérentes.» Fini les courses interminables. Place au jeu. «On peut travailler physiquement, mais avec le ballon, dévoile-t-il. Courir au bord du terrain, ce n’est pas le but. On fait du football, pas de l’athlétisme. On est lié à un ballon, donc les joueurs doivent être proches de sa réalité. Telle est ma philosophie.» Une vision du football chevillée à des valeurs sans lesquelles toute œuvre est vouée à l’échec : «rigueur et discipline». «Oui, il y a des règles. Quand je dis que l’entraînement est à 9H, ce n’est ni à 8H59 ni à 9H01. A 9H, on démarre la séance. Et, je ne veux pas de retard. C’est important. Un joueur discipliné à l’entraînement le sera forcément le jour du match. J’insiste aussi sur la discipline en dehors, parce qu’ils (les joueurs) représentent une image (celle de la Linguère).»

Un pédagogue – «Exigeant, mais ouvert et attachant», selon son adjoint, Samba Ndiaye, le nouvel entraîneur de la Linguère a redonné le sourire aux joueurs qui sortaient des pelouses, les mines d’enterrement. Illustration de cette nouvelle donne : Abdou Kader Fall. Deuxième meilleur buteur la saison dernière, muet comme une carpe toute la phase aller du présent exercice, l’attaquant de la Linguère a retrouvé, avec Bahloul, son sens du but : 5 réalisations en 8 rencontres. Donc, s’il est vrai qu’«un entraîneur, c’est avant tout un pédagogue», Abdel Djilali Bahloul en est un et un chevronné, du reste. Au-delà de la ritournelle matinale sur la pelouse du stade Mawade Wade, il sait tirer le meilleur de son groupe, en maniant avec maestria le…verbe. «Savoir parler aux joueurs est important. Le plus important, pour moi, ce n’est pas de faire des séances d’entraînement, donner des directives et s’en f… du joueur. Non ! Mon adjoint, Samba Ndiaye et moi essayons d’être très proches de nos joueurs, pour mieux les connaitre, afin de mieux les amener à la perfection.» Pari réussi. Pour l’instant, du moins. Cinq victoires de rang, huit matches sans défaite et des sourires retrouvés, la Linguère est revenue de ses nuits nuptiales avec l’inconnu, plus forte que jamais. Soulagée d’avoir fait le bon choix. «L’entraîneur n’a rien changé : ni l’organisation ni les hommes. Il s’est adapté», témoigne le Coordonnateur de la direction sportive de la Linguère, Cheikh Tidiane Lakh, selon qui, Bahloul a transcendé les joueurs par son discours. «Quand il leur parle, mêmes les dirigeants ont envie de prendre les maillots et d’aller dans le terrain. Il a redonné confiance à Abdou Kader Fall, en lui faisant croire qu’il est le meilleur du championnat.» Lakh d’embrayer : «En plus de façonner son équipe selon l’adversaire et l’importance du match, il est en permanence, dans la réflexion. Il n’hésite pas à faire d’un arrière, un excentré ou un défenseur central comme Saloly Sèye, un milieu récupérateur droit. C’est un entraîneur qui crée.»

A l’heure de commenter les belles performances de la Linguère en phase retour, forcément, les siennes, le Franco-algérien a affiché un flegme qu’on ne lui soupçonnait pas. Avec lui, l’occasion ne fait pas le larron, et nulle question d’en profiter pour se promouvoir ou s’attribuer quelque mérite, au détriment des joueurs. «On peut mettre n’importe quel système, dit-il, si les joueurs ne se l’approprient pas, il y aura problème.»

Formé à Marseille, camarade de promotion de Mathieu Flamini

Sa philosophie – Abdel Djilali Bahloul a, en douceur, instillé une cure de jouvence à la Linguère. Cette vieille dame qui semblait pousser des cheveux blancs, a eu les reins suffisamment solides pour aller infliger au Casa sa plus lourde défaite (1-4), à Ziguinchor, lors de la 20e journée. Sa quatrième victoire en six journées, son septième match sans défaite. Peu importe la stature de l’adversaire, à domicile comme à l’extérieur, l’état d’esprit de son groupe reste le même. «Je ne m’adapte jamais en fonction de l’adversaire. Ce n’est pas ma vision des choses. Ce n’est pas à l’adversaire de me faire changer le système travaillé à l’entraînement.» Du Gourcuff en Bahloul, dirait-on. «Christian (ex sélectionneur de l’Algérie, son contrat avec la FAF a été officiellement résilié à l’amiable le 3 avril dernier, Ndlr) est fidèle à son système de jeu (4-4-2), je dirai même têtu. On ne travaille pas dans la même catégorie, mais j’aime bien sa façon de voir les choses. C’est un grand entraîneur.»

Ses modèles – Justement, le coach de la Linguère s’inspire des grands. Fan de Rolland Courbis, Djilali n’en est pas moins un admirateur de Diego Simeone. Comme l’Argentin avec l’Atlético de Madrid, le Franco-algérien prône un jeu agressif. Pour une raison toute simple : «On se met en difficulté, si l’on n’est pas agressif. Il en faut. Ce n’est pas une arme fatale, mais un complément de beaucoup de choses qu’on met en place. En plus, il faut une maîtrise collective et une cohérence dans ce qu’on fait.» Son équipe encaisse peu, marque beaucoup, parce qu’il a su trouver une «une bonne assise défensive, un bon équilibre médian et un secteur offensif performant.» Ce petit a tout d’un futur grand. «Je n’aime pas ce mot. Il faut rester humble. Mais je sais qu’à force de travailler, je réussirai à une belle carrière d’entraîneur.» Son rêve le plus fou est d’entraîner un jour, l’Olympique de Marseille et la Sélection algérienne. Autrement dit : prendre une revanche sur le destin. Le Franco-algérien qui a enfoui ses rêves de footballeur professionnel au centre Robert Louis-Dreyfus, comme beaucoup de ses camarades de promotion, à l’exception de Mathieu Flamini (Arsenal), a enfourché le cheval de son père : celui d’entraîneur. Mais n’ayant pas la reconnaissance de son pays adoptif, il se la joue Renard. «Hervé (champion d’Afrique avec la Zambie en 2012 et la Côte d’Ivoire en 2015) est le parfait exemple. On ne l’a pas estimé en France, l’Afrique a fait de lui un grand entraîneur. Il y a beaucoup de cas comme ça. Je suis Français, mais je sais que j’ai plus de chance d’entraîner n’importe où dans le monde qu’en France. En Ligue 1, il n’y a qu’un seul Maghrébin (Mohamed Bradja). Il est à Troyes et y a fait 25 ans. On lui a donné ce poste, parce que l’équipe était reléguée en L2 et c’est juste pour terminer la saison. C’est très difficile, quand vous portez un nom africain ou maghrébin, de percer en France. C’est malheureux. Ça ne représente pas la France. La France, c’est l’équipe championne du monde 98 : blancs, blacks, beurs. Elle perd de sa valeur et va droit au mur. Là-bas, personne ne pense à moi, moi aussi, je ne pense pas à eux.»

Son passé – Une déclaration de guerre ? Pas forcément. Seulement, le bonhomme n’a pas froid aux yeux. C’est dans ses gènes. Sous l’ombre de son grand-père revenu de la guerre d’Algérie (1954-1962) avec le moral des vainqueurs, Bahloul a appris à chasser la peur. L’enfant de Tizi Ouzou s’est «affranchi» à l’âge de 7 ans pour rejoindre son pater en France, à Marseille. Il est resté dans le cocon familial jusqu’au mariage (il est père de deux enfants), avant de voler de ses propres ailes. Dans cette aventure, sa foi est son fidèle compagnon. «Je n’ai peur de rien. Je suis musulman et mon destin est déjà tracé.» Adossé très tôt à ce mur inébranlable, il a «dit bye-bye aux études, à 17 ans. Mon école, c’est la rue. C’est là-bas où l’on apprend beaucoup de choses.» Sur les pavés de la Cité les Créneaux, Bahloul a appris à durcir «son caractère». Face à la violence, une des caractéristiques de la ville marseillaise, le sport a été son exutoire. «Il y a aussi l’éducation et la religion : l’Islam.» Deux piliers essentiels de la vie de Bahloul qui tente d’en donner un sens à travers le foot.

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-iGFM

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