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Ses admirateurs le mettent au Panthéon des footballeurs, rappellent qu’El-Hadji Diouf est un exemple de réussite, un footballeur qui a permis au Sénégal et à l’Afrique de briller dans le monde. Ses détracteurs parlent d’un joueur surcoté à l’ego surdimensionné, irrespectueux et incapable de s’adapter aux exigences du haut niveau. Le double Ballon d’or africain est un personnage clivant. Revenir sur ses débuts, ses ambitions et motivations peut être l’occasion de cerner davantage le personnage.

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Dans le documentaire Quand les Lions mangent le coq de Gaëlle Le Roy, qui se tournait avant et durant le match France-Sénégal de 2002, on voit votre mère ivre de bonheur.

Chaque footballeur vit pour ce genre de moment. Voir une maman qui ne connaît pas le football aussi heureuse et fière de son fils, qui donne du plaisir à tout un pays, ça n’a pas de prix.

Vous l’aviez déjà vue comme ça ?
Jamais. Je n’avais jamais vu ma mère et ma famille dans un tel état. Je me devais de lui rendre quelque chose. Je voulais que le monde sache qu’elle était heureuse. Une mère qui s’est aussi bien occupée de toi, tu n’auras jamais assez pour la rembourser. Je me devais de montrer au monde entier que j’avais la meilleure des mamans.

A-t-elle eu des mots lorsque vous vous êtes retrouvés ?
On n’avait pas besoin de se parler. Ses yeux brillaient, comme ceux de ma grand-mère et du reste de ma famille. Après la Coupe du monde, quand ils me parlaient, ils pleuraient, me prenaient dans leur bras.

Tu as eu des frissons ?
Oui, mais tout ce que j’ai accompli, je me devais de le faire.

Quelles sont les valeurs les plus importantes pour vous ?
La loyauté, avoir du cœur, ne jamais oublier d’où tu viens et croire en soi.

Croire en soi, pourquoi est-ce si important ?
Si tu ne crois pas en toi, tu ne pourras rien accomplir de bon dans ta vie. Il y a deux sortes de personnes : les leaders et les followers. Tout le monde est né avec d’énormes qualités. Après, tu as le choix de les développer ou non. Je suis comme ça depuis que je suis petit. À 7, 8 ans, je parlais déjà de Coupe du monde. Je regardais les matchs de football et je sentais en moi, profondément, que je pouvais devenir un champion. J’y croyais. Et puis, la vie de ma mère et de ma grand-mère étaient heureuses, mais pas merveilleuses. Ça m’a beaucoup poussé à croire en moi et à me dire que tout était possible.

Votre maman parle de vous comme quelqu’un de généreux.
Je suis né dans une famille où tout le monde partageait. Je peux même élargir ces valeurs au quartier dans lequel j’ai grandi. La vie était difficile, mais il y avait toujours des gens pour partager la nourriture ou de bons moments. Aucune maison n’était fermée à l’heure de manger et si quelqu’un d’extérieur avait un problème avec quelqu’un du quartier, tout le monde s’en mêlait.

La chose dont tu es le plus fier ?
Avoir rendu fier mon pays, le Sénégal.

On t’a vu pleurer deux fois. La première lors de la finale de la CAN 2002 perdue aux tirs au but face au Cameroun, séance durant laquelle tu as manqué la cible. La seconde c’était après la défaite en quarts de finale de la Coupe du monde contre laTurquie.
La première fois, je pleurais parce que tout le bonheur qu’on donnait aux gens s’arrêtait. J’aurais préféré ne pas gagner mes Ballons d’or et amener la Coupe d’Afrique au Sénégal. Je garderai toujours ça en tête. Ça aurait été la cerise sur le gâteau. Contre la Turquie, c’est parce qu’on voulait être la première équipe africaine à atteindre les demi-finales, montrer à nos petits frères que c’était possible. D’ailleurs, je lance un appel à tous les Sénégalais pour qu’ils soient derrière cette équipe avant et pendant la Coupe du monde. Je demande aussi aux joueurs de rendre fier le Sénégal, leur famille et le continent africain.

On peut être un homme fier, fort et pleurer ?
Bien sûr. Même si on ne pleure pas par des larmes, on peut pleurer à l’intérieur.

Est-ce que, durant votre carrière, vous ne vous êtes pas mis trop de pression sur les épaules ?
Il fallait bien que quelqu’un dirige le bateau. Il fallait un leader technique et moral sur le terrain. Dès que les Sénégalais me voyaient jouer, ils croyaient que tout était possible. Je me suis mis cette pression, mais je l’aimais, je l’adorais.

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus triste ?
La méchanceté des gens. Ceux qui te voient réussir et qui se disent : « Pourquoi lui et pas moi ? » L’hypocrisie aussi. Mais pour un incapable, il est normal de jalouser les autres. Je ne m’attarde pas sur eux, mais ça me révolte. Enfin, tu peux ressentir cela en toi et ne pas le montrer. Mais ce qui me fait le plus mal aujourd’hui, c’est ce qui s’est passé lors du tirage de la Coupe du monde. On voit Figo, Cannavaro, Maradona, Forlán, des légendes, mais aucun Africain. Il manquait Roger Milla, El-Hadji Diouf, Samuel Eto’o, Didier Drogba, George Weah, Salif Keita. C’est un manque d’élégance. Je pense que des joueurs comme Sadio Mané ou Mohamed Salah qui vont disputer la Coupe du monde auraient aimé pouvoir se dire que lorsqu’ils arrêteront, ils pourront participer à un tirage. Ce qui me fait mal, c’est que les Africains ne sont pas aussi bien vus que les Européens. Ils signent moins dans les grands clubs, on leur pardonne moins de choses sur un terrain de football. Mais c’est également à nous de nous unir. Si on ne l’est pas, on n’obtiendra jamais ce que l’on souhaite. On veut être sur le même pied que les autres. Il n’y avait personne pour représenter les noirs, l’Afrique. Tout le monde aurait dû s’unir pour dénoncer ça. Samuel Eto’o ou Didier Drogba auraient dû le dire, mais peut-être qu’ils ne le souhaitaient pas. C’est aussi la faute des Africains. Mawade Wade, un grand entraîneur disait : « La différence entre l’Europe et l’Afrique, c’est qu’en Europe, ils font et feront toujours en sorte que leurs héros soient respectés alors qu’en Afrique, on tue nos héros. »

Pourquoi l’Afrique tue-t-elle ses héros ?
À cause d’une jalousie bête, d’un manque d’éducation. L’un ne veut pas que l’autre avance. L’éducation, ce n’est pas seulement faire de grandes études. Sortir du Sénégal très tôt m’a aidé et il y a également le fait d’avoir appris une autre culture. Attention, je ne veux pas dire que notre éducation est mauvaise, mais l’éducation ne veut pas dire seulement mettre son fils à l’école coranique. L’éducation c’est le partage, la générosité, le travail, le respect.

Est-ce qu’il y a deux El-Hadji Diouf ? Un pour le public et un autre en privé.
Ceux qui veulent le connaître n’ont qu’à s’approcher de lui. C’est tout. Sur le terrain, sur les plateaux de télévisions, il y a la star, et dans le privé, il y a un autre El-Hadji Diouf. Un homme de famille et qui essaie de s’impliquer pour son pays. C’est normal qu’il y ait deux El-Hadji Diouf : avec la famille, les amis, ce n’est pas la star, mais l’être humain. Mais quand je suis à la télévision ou que je dois défendre l’Afrique…

Défendre l’Afrique, c’est se montrer dur, fier, intouchable, arrogant, c’est être un guerrier ?
Défendre l’Afrique se fait par des actes et c’est ce que je fais actuellement. Un guerrier ne gagnera qu’une seule chose : être tué en premier. Zlatan n’est pas arrogant. Ibra a débarqué en France en disant : « Je serai le patron du championnat de France » et il l’a fait. Un arrogant, c’est quelqu’un qui ne peut pas faire ce qu’il dit. Si le fils de Messi lui demande de marquer deux ou trois buts, il le fait. El-Hadji Diouf a dit la veille d’un match France-Sénégal : « On va gagner 1-0 » , résultat qui permettrait au Sénégal de briller partout dans le monde et il l’a fait.

Comment s’est déroulée votre enfance à Saint-Louis ?
Je voulais uniquement jouer au football alors que mes grands-parents et parents voulaient que j’aille à l’école. Ils ont tout fait pour m’en empêcher. À l’époque, il n’y avait que des ratés. Qui laissait-on jouer au football ? Ils m’ont mis dans un atelier de menuiserie, puis en mécanique, un peu partout, mais je n’y restais que deux ou trois jours, puis je faisais l’école buissonnière et je prenais mon ballon de foot, que je fabriquais parfois à partir de rien.

Comment avez-vous convaincu vos parents de vous laisser partir en France ?
À la base, je ne devais pas partir. Il y avait un recruteur, monsieur M’Bow. Il avait amené Taribo West et beaucoup de grands joueurs africains en Europe. On lui avait parlé d’un jeune qui s’appelait Makhtar N’Diaye. Il a joué à Rennes et disputé la Coupe du monde avec nous. Il était venu pour lui. J’ai entendu l’info et je suis allé le voir juste après un match de détection : « Monsieur, je pense que je suis la personne que vous venez chercher. Je vais réussir. Faites-moi plaisir, emmenez-moi. » Il m’a pris pour un fou, mais un de ses amis lui a dit : « Pape, je crois en ce petit. Il a déjà de l’ambition et l’envie. » Il m’a amené de Saint-Louis à Dakar. Je m’entraînais avec les petits. Tous les jours, il me voyait progresser et j’ai fini par partir.

La réaction de votre famille ?
À l’époque, l’Europe, la Francefaisaient rêver. Quand on leur a dit que je pouvais partir, ils ont répondu : « Pourquoi pas.  » Et puis il y avait mon guide spirituel (ndlr : un marabout). Il fait partie de la grande famille de Touba (ndlr : branche mouride de l’islam sénégalais). Il a dit : « Si c’est ce qu’il veut, laissez-le jouer. Je crois qu’il va réussir. »

Et votre côté rebelle.
Ce sont les gens qui me collent cette étiquette de rebelle. Je sais que je ne suis pas un rebelle, un bad boy. Je n’ai jamais été en prison, je n’ai jamais fait de mal à qui que ce soit.

Certains de vos actes montrent tout de même qu’on ne peut pas vous forcer à…
(Il coupe) De nos jours, on ne doit plus forcer les gens. Moi, personne ne peut me forcer, pas même mes parents. Si on me demande les choses tranquillement, je fais les choses avec normalité et respect.

Le respect.
C’est la base de tout. Si un entraîneur me demande quelque chose, il doit le faire avec respect, c’est tout. On ne peut pas gérer un talent comme un joueur de classe moyenne. Si vous gérez Messi de la même façon que Lucas Digne, il ne s’appelle plus Messi. Excusez-moi.

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